Souvenez-vous, nous en avions discuté il y a un an (à lire ici) lorsque le Pentagone avait publié un long guide d’interprétation du droit. La Défense américaine avait alors estimé que dans certains cas, les journalistes pouvaient être des belligérants non privilégiés. S’ils espionnaient, s’ils étaient dans un groupe de combattants ou encore s’ils transmettaient des informations sensibles, alors ils ne bénéficiaient plus de leur statut civil, ni des protections accordées à un soldat en uniforme. L’affaire avait suscité une levée de boucliers dans les rédactions et les syndicats professionnels.
Plusieurs associations, notamment Reporters sans frontières (RSF), ont finalement obtenu gain de cause en faisant réécrire le passage incriminé au Pentagone. Les journalistes craignaient que la lecture faite du droit international par la Défense ne mène à la justification de censures, de pressions, d’interpellations voir de bavures. Ils ont réussi à faire passer l’idée que quelle que soit la situation, le journaliste doit bénéficier de la protection accordée par les conventions de Genève aux civils.
Les plaignants se sont principalement appuyés sur la résolution 2222 du Conseil de sécurité des Nations unies qui précise que « les journalistes jouent un rôle vital dans les sociétés libres et dans le droit de la guerre, ainsi que pour donner des informations concernant les conflits armés« . Renouveler cette reconnaissance ne peut que rassurer les reporters des grandes rédactions d’information libre. Mais le propos ne réponds pas à l’inquiétude qui était celle des juristes de la Défense américaine au départ: comment gérer ceux qui abusent de leur statut à des fins belligérantes?
Il convient en effet de continuer de s’interroger sur la définition du statut de journaliste. La distinction que fait RSF entre « journalistes » et « net-citoyens » montre à quel point le sujet est complexe. Il arrive que des journalistes aient une activité qui relève du renseignement. Il arrive également que des officiers de renseignement se fassent passer pour des journalistes : c’était le cas des hommes de la DGSE capturés par les shebaabs somaliens il y a quelques années. Sans parler de militants de certains pays ou factions armées qui se qualifient eux-mêmes de journalistes, quand ils ne font que la promotion de l’un des camps. C’est le cas de nombreux activistes syriens. C’est aussi le cas de la chaîne de télévision russe Zvezda, affiliée au ministère de la Défense. C’est souvent le cas dans les portraits très flatteurs et enthousiastes faits de nos armées par les médias occidentaux.
La reconnaissance du statut de journaliste change d’un pays à l’autre. Ce sont en général des organismes nationaux ou des associations internationales qui remettent des cartes de presse. En France, il s’agit d’une commission de pairs, qui a ses propres critères. Cette année, par exemple, l’auteur de ces lignes n’a pas pu obtenir sa carte car payé régulièrement en droits d’auteur. Quelqu’un qui monte des vidéos de petits chats sur le web est lui, par contre, bien un journaliste.
Au delà de l’abus de statut et de la mauvaise foi, il convient également de s’interroger sur les positionnements sémantiques et idéologiques des journalistes en général. En France, comme dans d’autres pays (Russie, Chine, UK, US…), il existe un vrai débat sur le rôle de la presse: doit-elle être engagée ou neutre? Si nous avons pris le parti de la neutralité, force est de constater que dans la majorité des médias, il y a une ligne claire entre nos amis (l’armée française est globalement présentée de manière positive) et nos ennemis (les djihadistes sont des terroristes, des fous et des barbares). Cela aide-t-il le lecteur/spectateur à se faire une opinion en connaissance de cause, à partir de faits?
Nous en doutons.