« Le gouverneur
militaire de Paris n’exclut pas « l’ouverture du feu » ».
Terrifiant. Ce titre de L’Express.fr entraîne, forcément, des réactions paniquées sur les réseaux sociaux. Sur mon compte Facebook personnel, des connaissances s’inquiètent ou s’insurgent, de même que leurs proches. « Comment ça s’appelle, un régime où les militaires tirent sur les civils ? » « Et après, on critique Bachar al Assad… »
Pourtant, l’officier ne fait que décrire, plutôt précisément, la légitime défense : lorsqu’il y a menace vitale imminente contre soi ou autrui, un militaire doit avoir recours à une riposte proportionnée. A noter que la notion de proportion est nuancée par l’imminence de la menace et qu’il est possible d’ouvrir le feu contre un individu qui tente de tuer quelqu’un avec une simple arme blanche.
Bref, la routine quoi.
Le général Bruno Leray se voit sommé sur l’antenne de France Info à répondre à un militaire inquiet qu’on demande à ses collègues de faire du maintien de l’ordre. Ce témoignage montre, comme la flambée de commentaires tous aussi perdus les uns que les autres, l’incompréhension face à la communication gouvernementale.
Même si personne n’a explicitement suggéré nulle part de mobiliser des militaires pour faire du maintien de l’ordre. .
Et encore moins pour tirer dans le tas, si ce n’est quelques fous furieux comme la députée (LREM) Claire O’Petit qui, fidèle à son habitude, raconte n’importe quoi sur des sujets auxquels elle ne connaît pas grand-chose. Non chère Madame, il ne suffit pas de sommations pour ouvrir le feu. Encore faut-il que la menace soit imminente et que la riposte soit proportionnée. De son côté, l’éditorialiste Christophe Barbier assure que si des casseurs attaquent le ministère des Armées, il y aura ouverture du feu. Au summum de leur forme, les grandes chaînes de télévision enchaînent les dîners de cons.
Et l’opposition, probablement en toute bonne foi, de sauter sur le sujet pour réclamer le respect de nos libertés fondamentales sur Twitter à grands coups de bullshits. Le député Eric Coquerel s’interroge : « Les militaires sont appelés à tirer pour protéger nos bâtiments ? » Ben non. Son collègue Jean-Luc Mélenchon : « Il n’y a pas d’ennemi de l’intérieur en France. » Ah bon ? Aurélien Saintoul, qui va probablement encore se plaindre qu’on ne lui répond pas, réclame carrément d’auditionner la ministre et le chef d’état-major des armées au sujet de « la participation des soldats de Sentinelle au dispositif de maintien de l’ordre ». Ça fait deux jours qu’on vous dit qu’ils n’y participent pas les mecs ! Sans déconner, personne n’a le numéro de personne au sein du cabinet chez les élus ? Vous ne pouvez pas vous parler au lieu de tweeter comme des gosses du 18-25 ?! L’élite de la nation, comme diraient les jeunes…
Médiocrité, irresponsabilité, contre-productivité
Une part de ces commentaires navrants est probablement due à de l’incompétence. Des journalistes pondent des titres un peu piquants parce qu’ils sont inquiets de la tonalité du discours. Pour un rédacteur de passage, il est peut-être possible en mars 2019 de découvrir que les militaires de Sentinelle dépendent du cadre de la légitime défense. Même chose chez ces opposants qui, à force de haïr le gouvernement, en viennent peut-être à prendre leurs fantasmes pour des réalités.
Pourtant, dans le contexte actuel, se comporter ainsi est particulièrement irresponsable. La France est plongée dans une crise durable. Ces manifestations ont entraîné plus de 2200 blessés, auxquels s’ajoutent plus de 1000 policiers et une douzaine de tués. En faisant croire que le gouvernement et/ou l’armée se préparent à faire ouvrir le feu sur des manifestants, les auteurs de ces propos, explicites ou suggérés, accentuent les risques de tensions et d’accidents. Comment un média peut-il oser laisser entendre que le gouverneur militaire de Paris envisage de tirer sur des manifestants ?
La présence de militaires sur le territoire pendant ces tensions sociales est en effet facteur de risque. Ce n’est pas nouveau et c’est un vrai sujet. Qui n’a d’ailleurs rien à voir avec les Gilets Jaunes : lors des manifestations contre la loi Travail, des militaires s’étaient ainsi retrouvés pris dans la foule à Strasbourg et aux Invalides. Lors de l’Acte VII des Gilets Jaunes, le 29 décembre dernier, une manifestation était même passée juste devant le ministère des Armées. Jusque-là, beaucoup de sang-froid et un peu de chance a évité les drames. Mais est-ce viable ?
Les uns et les autres, en ne prenant pas le temps de chercher à comprendre, trop confortables dans leurs petites postures, éloignent les vrais débats, de fond, qui eux ont de l’intérêt : l’armée française doit-elle toujours être déployée sur le territoire durablement face au risque terroriste ? Les solutions employées par les policiers et les gendarmes en maintien de l’ordre sont-elles les bonnes ? Que retenir des revendications des Gilets Jaunes, de leur mouvement et du rapport de force avec le gouvernement ? La préfecture et le gouvernement emploient-ils les bons équilibres dans leurs répartitions des effectifs sur les missions de sécurité ?
Faute communicationnelle
La faute majeure et originale reste bien évidemment celle du gouvernement qui a communiqué avec autant de légèreté sur le sujet. Mercredi, Benjamin Griveaux se contentait ainsi de parler de « mobilisation renforcée du dispositif Sentinelle pour renforcer les points fixes et statiques conformément à la mission du dispositif Sentinelle », entre autres efforts sur le maintien de l’ordre. Qu’elle soit volontaire ou involontaire, cette approximation dans le propos ne pouvait que laisser libre cours aux spéculations les plus diverses et prêter le flanc à la récupération politique. Même si le jour même, certains médias amenaient le gouvernement à préciser.
[EDIT 14:54] Florence Parly elle-même, me fait-on remarquer, a tenu des propos particulièrement maladroits sur ce sujet, sur le Parisien. Après avoir longuement détaillé la logique du dispositif et le fait que les militaires ne feront pas de maintien de l’ordre, elle remarque que… « Sentinelle contribue, indirectement, au maintien de l’ordre public. » On y perd son latin.Ce vendredi matin, le ministère des Armées se retrouve cantonné à un rôle de communication de crise, répondant factuellement à des éléments qui auraient pu être clarifiés d’entrée de jeu. Après plusieurs jours d’errance, on commence enfin à comprendre que les militaires ne feront que remplacer des policiers sur des positions de contre-terrorisme, afin de libérer des effectifs de police. Mais pour ceux, nombreux, qui n’ont plus aucune confiance en ce gouvernement, comment ne pas imaginer le pire ?