Ce mercredi 23 novembre, le Parlement européen a adopté une résolution appelant l’Union européenne à mettre en place une communication stratégique (Stratcom) pour lutter contre les propagandes extérieures. Avec 304 votes pour et 179 contre, ce rapport défendu par la polonaise Anna Fotyga (ECR, droite européenne) avait déjà été diffusé publiquement par la Commission des Affaires étrangères, qui l’avait validé à une large majorité.
Ce document rappelle la faiblesse de la communication stratégique de l’Union européenne, qui ne dispose pas des moyens nécessaires pour faire face à la propagande. Deux menaces principales sont évoquées: l’Etat islamique et la Russie. Pour ce second dossier, le rapport désigne une série d’acteurs impliqués dans la communication stratégique « agressive » de Moscou, dont, entre autres, les médias Russia Today (RT) et Sputnik. Précisons que ces derniers sont mentionnés dans un article sur 59.
A Paris, l’équipe de Sputnik s’est immédiatement insurgée contre ces propos. Tous nous ont assuré travailler comme n’importe quel journaliste français, en allant poser des questions, en épluchant des dossiers. Peut-être avec quelques orientations politiques, mais après tout, ni plus ni moins que dans n’importe quelle rédaction parisienne. Toujours au regret de voir certains refuser de leur répondre.
Comme nous l’avons expliqué sur l’antenne de Sputnik, il n’est pas évident de faire la distinction entre information éditorialisée et engagée, mésinformation (erreurs professionnelles) et propagande (action politique volontaire). Où s’arrête la naïveté d’un journaliste qui se trompe? Où commence la propagande? Comme nous le rappelle le rédacteur en chef de Sputnik France, ses équipes et son média son jeunes et il reste beaucoup de choses à améliorer. Et sa volonté d’aller dans ce sens semble tout à fait sincère.
Le fait est que mes propos n’ont jamais été déformés sur Sputnik. J’ai parfois eu de bien plus mauvaises expériences avec d’autres médias. Le seul reproche que j’ai pu faire porte sur l’orientation de titres qui ne retranscrivaient pas du tout mon propos, bien au contraire. Mais finalement, là non plus rien de choquant: cette titraille étant réalisée à Moscou, les perceptions peuvent varier. Des médias français fonctionnent exactement de la même manière et chaque fois, mes demandes de correction ont été entendues.
Pourtant, comme je le disais sur Sputnik, le soupçon de propagande me paraît tout à fait pertinent. L’absence de couverture critique sur la politique russe en est un exemple. Le jour de mon intervention, les articles les plus récents sur Vladimir Poutine évoquaient son talent au Hockey sur glace et la générosité d’une fan péruvienne voulant lui offrir un pull. Simple question d’organisation de la structure assure le rédacteur en chef: le bureau de Paris est chargé de traiter les sujets français, pas la politique russe. Ainsi, si tous les articles sur l’IVG en Russie oublient d’expliquer l’importance de l’enjeu de ce débat et de rappeler que ce pays est l’un de ceux où l’on compte le plus d’avortement en Europe (930 000 en 2015), c’est par simple maladresse. A titre de comparaison, au plus chaud des attentats du 11 septembre 2001, la radio publique Voice of America (VOA) décidait de diffuser une déclaration du mollah Omar, contre les consignes de l’administration d’alors. Dans un autre registre, Radio France Internationale (RFI) n’hésite pas à évoquer très régulièrement, en fonction de l’actualité, les difficultés du chef de l’Etat.
La Russie et Sputnik sont-ils l’enjeu?
Sputnik et RT ont multiplié les articles pour dénoncer l’attitude de l’Europe contre les médias russes. Ce n’est pourtant pas du tout le sujet. L’enjeu de cette résolution vise à équiper l’Union européenne et ses membres d’outils lui permettant d’assurer la sécurité informationnelle. Que les Russes soient vexés de se retrouver cités aux côtés des djihadistes est compréhensible. Il ne s’agit pourtant que d’exemples contextuels, ceux qui sont les plus concernant aujourd’hui. Peut-être que dans cinq ou dix ans, la problématique aura bifurqué vers l’influence états-unienne, chinoise ou iranienne.
Ce que dit ce rapport, c’est que « l’Union européenne doit faire de ses efforts de communication stratégique une priorité« . Et en réalité, cette bonne résolution, on la serine à Bruxelles depuis de nombreux mois. En avril, Anna Fotyga et d’autres parlementaires mettaient déjà le sujet sur la table. L’été dernier, c’était l’un des sujets abordé dans un événement dédié à la jeunesse européenne à Strasbourg. En février, on s’inquiétait du manque de financement pour les outils destinés à répondre à la propagande russe.
Les relations très tendues avec la Russie et l’inquiétude de certains pays, qui pousse des Etats traditionnellement neutres comme la Suède dans les bras de l’Otan, ont fait de ce sujet une priorité. Quelques projets ont été mis en place pour y répondre, comme les newsletters du Service européen d’action extérieure, qui déconstruisent les narratifs des médias russes ; ou le soutien financier à des médias russophones contredisant le discours officiel.
Mais les recommandations de la résolution européenne vont plus loin et ne s’adressent en réalité pas exclusivement aux médias russes. Il est réclamé des Etats membres de faire tout leur possible pour garantir la qualité et la liberté de la presse, notamment en favorisant la formation des journalistes professionnels et en éduquant le public.
Censure ou dialogue?
Sputnik a multiplié les articles dénonçant ce débat, d’abord sur le ton de l’ironie et de la moquerie, puis sur celui du scandale international. Comme s’il était totalement aberrant de poser de telles questions sur leur travail. Pourtant, il ne me paraît pas concevable de parler de censure dans ce cas. Il y a encore quelques mois, alors que je visitais une base de l’Otan en Pologne, le général allemand qui la commandait m’expliquait avoir reçu dans ses murs une équipe de RT quelques jours plus tôt. Il était dépité de voir que le reportage diffusé racontait tout le contraire du discours d’apaisement qu’il avait pourtant tenu, le dépeignant comme un fou de guerre. Et franchement, il fallait vraiment aller loin pour le percevoir ainsi tant son discours était prudent et mesuré.
Sputnik pourrait-elle subir le même sort que la BBC en Russie? J’en doute franchement. Même si face à la communication stratégique, certains sont tentés de renoncer aux logiques d’information libre, ce n’est pas encore la logique générale. La résolution appelle d’ailleurs à la pluralité. Je crois que la meilleure des choses à faire est de croire en la sincérité des journalistes de Sputnik qui disent vouloir faire du bon travail et de leur répondre, de les aider à aller dans cette direction. Pourquoi pas après tout? Des médias d’influence comme RFI ou France 24, la BBC ou VOA, font du très bon travail. Si Sputnik a la volonté d’aller dans ce sens, soutenons les!
Reste que cette bonne volonté transparaît mal dans les réponses assénées par Sputnik à cette résolution. Dans son orgueil blessé, la rédaction a choisi de tomber dans un piège énorme en convoquant à la rescousse toute voix qui pourrait aller dans son sens, sans jamais avoir de débat contradictoire, jusqu’à aller chercher des idiots utiles comme l’eurodéputé Front National Jean-Luc Schaffhauser qui vient mélanger cette résolution avec l’intervention en Libye. Quel putain de foutu rapport Monsieur le député?!
Alors Sputnik bombarde. Depuis une semaine, c’est le festival: « censure d’Etat » (il n’est nulle part suggéré de censurer quoi que ce soit), les auteurs sont des anti-Russes primaires, c’est la faute à l’Otan, à la russophobie, la fin des libertés… Le mot « guerre » revient régulièrement. Et jamais la moindre remise en question des méthodes de Sputnik. Exagération, unilatéralisme, diabolisation de l’adversaire, positionnement en victime… Ce ne sont pas là les qualités d’une information objective et contradictoire. Rappelons que la contre-propagande n’est qu’une propagande tournée contre la propagande adverse, pas de l’information.
Il n’est pas facile de faire la différence entre de la propagande, la défense de conviction ou des maladresses journalistiques. Commencer par dialoguer et expliquer aurait été un premier pas démonstratif. C’est bel et bien le contraire que l’on observe ici. Faut-il en tirer des conclusions?