Pour qu’une menace soit crédible, il faut pouvoir mettre en oeuvre la sanction promise. Les grandes puissances le savent et l’appliquent en Syrie. Ces derniers mois, l’utilisation d’armes chimiques a été avérée à plusieurs reprises. Sans que l’on ait fondamentalement les preuves de qui les a mises en oeuvre, les services occidentaux semblent convaincus que le régime de Bachar al-Assad reste le principal responsable du déploiement de ces moyens.
Barack Obama avait prévenu très tôt: l’utilisation de ces armes chimiques est une «ligne rouge» qu’il ne fallait pas franchir. Après plusieurs séries de «preuves» arrivées dans les capitales occidentales, par l’entremise des services de renseignement ou celle de journalistes et autres humanitaires, la question de la crédibilité s’est posée. Paris, Londres et Washington ont menacé Damas de représailles si ce pas était franchit. Difficile de faire marche arrière le 21 août lorsque plusieurs centaines de personnes sont tuées dans une attaque chimique attribuée à l’armée syrienne.
Cette crédibilité ne relève pas du péché d’orgueil. Elle est nécessaire à l’entretien de bonnes relations avec l’ensemble de ses interlocuteurs. Pour un Etat qui noue des relations diplomatiques avec d’autres Etats, il faut prouver que l’on a les moyens de ses promesses. Les accords de défense, les partenariats économiques, les échanges diplomatiques et militaires dépendent de cette logique. Il s’agit aussi de répondre aux attentes des opinions publiques. Si la politique étrangère est rarement la première des préoccupations de nos populations, elle se manifeste dans un certain nombre d’autres inquiétudes et sensibilités. Pour ne prendre que le cas de la Syrie, les sondages montrent régulièrement – comme pour d’autres interventions militaires – que les Français sont globalement favorables à une action des Nations unies, au sens militaire du terme. Ils préfèrent juste que d’autres s’en occupent. On sait qu’il est toujours plus difficile de mobiliser sur des intérêts aussi complexes mais l’on sait aussi que ces sujets sont vecteurs de crédibilité ou non. L’intervention de la France au Mali en est un autre exemple: les observateurs se sont unanimement interrogés sur le gain en image acquis par le président Hollande au cours de cette opération qui s’est soldé positivement sur le plan politique.
Reste enfin la question de la crédibilité vis-à-vis des adversaires. Ce sont là aussi des motivations majeures de la part des puissances qui s’opposent sur le dossier syrien. Les occidentaux veulent prouver que les régimes dictatoriaux et les massacres de masses ne peuvent se dérouler impunément. Surtout dès lors que l’on parle d’utilisation d’armes massives. Les Russes, de leur côté, cherchent à montrer que le système légalisant des Nations unies a fait l’objet de nombreux abus de la part des occidentaux. L’Irak, évidemment, mais aussi le Kosovo, sont les arguments qui nourrissent les craintes affichées par Moscou: la légalité n’est-elle pas toujours du côté de l’OTAN? C’est là aussi un soucis manifeste des Chinois qui constatent une multitude de velléités d’ingérence. Sans avoir d’intérêts fondamentaux en Syrie, Pékin refuse la simplification faite par la diplomatie occidentale qui diabolise le régime sans s’interroger – publiquement – sur un certain nombre de composantes très en pointe de l’insurrection.
Coup de maître diplomatique côté russe, une partie qui se durcit côté français
Surprise stratégique ce lundi 9 septembre: Moscou propose une mesure de contrôle, puis de destruction, sous tutelle internationale, de l’arsenal chimique de la Syrie. A Damas, on salue et l’on accepte l’idée. Le ministre des Affaires étrangères syrien, Walid al Moualem, assure que c’est un moyen pertinent de «protéger le peuple». Surtout, on supprime la fameuse ligne rouge: s’il n’y a plus d’armes chimiques, il n’y a plus de justification pour une intervention militaire occidentale.
Les responsables occidentaux ont fait le choix, depuis le début de la crise syrienne, d’une communication reposant sur une forte simplification du contexte syrien. Bachar al-Assad est décrit comme un tyran irresponsable qu’une rébellion démocrate essaie de chasser. Le compteur dépasse les dizaines de milliers de morts, principalement du fait des tirs de l’aviation et de l’artillerie fidèles au régime. Tout juste concède-t-on une inquiétude face aux jihadistes présents au sein de l’insurrection.
Les enjeux sont pourtant d’une toute autre complexité: alliances régionales, mouvements politico-religieux, opérations menées par des groupes terroristes, émergence d’organisations purement criminelles profitant du contexte de crise… Comment justifier qu’une partie de la population syrienne continue de soutenir le président al-Assad? La peur des islamistes, plus ou moins radicaux, ne laisse aucun choix à certaines communautés syriennes, chez les alaouites, les chrétiens ou encore les kurdes.
Difficile de rejeter la proposition de Moscou: neutraliser l’arsenal chimique est un point sur lequel tout le monde s’accorde. Et les diplomaties occidentales perdent ici leur seul argument pour s’opposer à Bachar al-Assad. C’est certainement au travers de cette logique qu’il faut lire le projet de résolution de la France, déjà qualifié d’«inacceptable» par les Russes: Paris veut non seulement que les armes chimiques soient mises sous contrôle, mais que Damas fasse le nécessaire pour faire juger tous les responsables de l’attaque du 21 août devant la Cour pénale internationale. Sinon, c’est l’intervention armée.
L’intensité de la manœuvre diplomatique est conséquente, des deux côtés. Les Russes s’appliquent à faire disparaître les motifs justifiant une action militaire contre la Syrie. Les occidentaux cherchent à éviter de se voir bloqués par une telle mesure en exigeant le plus de contraintes possibles envers le régime de Damas, quitte à bloquer la négociation. De là à y voir une terrible partie d’échecs…