La France a décidé, cette semaine, de publier une note de renseignement au sujet de l’importante attaque chimique du 21 août dernier, à l’ouest de Damas. Le document d’une dizaine de pages fait le point sur les connaissances des services français. La plupart des informations, sur les vecteurs et les moyens techniques des forces syriennes étaient déjà connus des spécialistes puisque issus de sources ouvertes.
Les «preuves» qui préoccupent tant les diplomates sont à trouver entre les lignes. Paris confirme via ce document détenir des éléments récoltés par les services nationaux pour justifier son positionnement. Il ne s’agit donc pas de suivre Washington ou Londres mais bien d’affirmer une conviction. Surtout, la France offre un niveau de détail que nos alliés anglo-saxons n’avaient pas avancé jusqu’ici: la technicité des armements utilisés prouve que l’attaque, qui a fait plusieurs centaines de victimes, ne peut pas être le fait de l’insurrection.
Un calendrier pour convaincre
La difficulté principale des Occidentaux, sur le dossier syrien, est de convaincre. La publication de cette note de renseignement, une pratique rarissime, est à lire dans ce besoin de faire basculer l’opinion de plusieurs acteurs clefs.
- L’opinion publique d’abord, doit être convaincue. En France, mais aussi aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les peuples se sont montrés réfractaires à une intervention armée en Syrie, sondage après sondage. Si personne ne renie les souffrances de ce peuple, ces populations restent marquées par les difficultés rencontrées dans les opérations militaires complexes et coûteuses de la décennie passée : Afghanistan, Irak, Côte d’Ivoire, Sahel… Le public a également montré un manque de compréhension de ce conflit: la présence d’acteurs comme les mouvements jihadistes liés à Al Qaida, la fermeté des Russes quant à l’application stricte du droit international, sont autant de facteurs qui ne simplifient pas l’appréhension des conséquences d’une action française et occidentale.
- Les élus sont aussi directement visés puisque ce rapport répond très directement à une préoccupation de premier ordre : les preuves. Les parlementaires, qui devaient débattre du sujet aujourd’hui mercredi, ont ainsi eu quelques jours pour peser le pour et le contre. Eux ne peuvent plus prétexter la prudence pour refuser un soutien plus direct aux Syriens. Le choix devient presque exclusivement une affaire de morale et d’éthique humaine. Ceux qui se montreront favorables à une intervention militaire devront de fait entrer dans un exercice d’argumentation pour faire basculer leurs électorats effectifs. Rien d’impossible: dans le cas de la Libye, le taux d’opinion favorable dans les sondages est passé de 30% au début du mois de mars 2011 à plus de 60% dans les jours suivant le déclenchement de l’opération Harmattan.
- Les Russes aussi lisent les publications étrangères. Les experts du monde entier ont ainsi pu consulter les conclusions françaises. A Moscou aussi on a pu étudié l’argumentaire de Paris. Difficile dès lors de botter en touche en réclamant des preuves tant les évidences semblent s’accumuler. Sans changer sa position, Vladimir Poutine a assuré qu’en cas de preuves reconnues au sein des Nations unies, la Russie condamnerait les responsables de l’attaque chimique du 21 août. La diplomatie va ainsi pouvoir reprendre son marathon persuasif en cherchant à isoler toujours plus les deux principaux opposants à une réaction onusienne : Moscou et Pékin.
La déclassification de ce document peut donc à présent engager des effets sur plusieurs plans. Politique en faisant basculer la position d’élus français. Diplomatique en donnant de la matière au Quai d’Orsay pour poursuivre ses efforts au sein des arènes internationales. Militaire en justifiant une participation française à une éventuelle intervention occidentale. Sécuritaire en confirmant les résultats déjà annoncés par d’autres services alliés.
Historique, enfin : au regard des générations futures, il ne sera pas possible dire «nous ne savions pas». Dix pages qui engagent donc directement la responsabilité de chacun, à son niveau, depuis le citoyen jusqu’au responsable politique.