Pour la génération qui a connu Charlie et Lulu, nous avons ici une version propagande du Hit Machine des années 1990. Julia Davis, une consultante en sécurité américaine, d’origines ukrainienne et polonaise, s’acharne maintenant de longue date sur la production des médias russes. Cette femme, qui collabore régulièrement avec le gouvernement et les médias américains, a un étonnant parcourt qui mêle production dans la télévision, journalisme d’investigation, analyse et consulting.
Sur son blog, Russia Lies, elle répertorie les mensonges diffusés par les médias russes. Julia Davis perçoit une évolution dans l’approche russe. Alors qu’au départ, elle identifiait régulièrement des publications d’images tirées d’autres conflits et présentées comme faites en Ukraine, ce sont désormais des recours systématiques à des experts qui alimentent la propagande. Il est en effet plus facile de retrouver la provenance d’images, que de contester la légitimité d’un expert à commenter le conflit. Après tout, chacun a le droit d’avoir sa lecture du conflit et de la situation.
Cette méthode est également très utilisée par d’autres médias de propagande (IRIB ou FoxNews, par exemple). Elle est particulièrement efficace: les experts invités peuvent en général se revendiquer fins connaisseurs de leurs dossiers. Certains sont peut-être d’ailleurs tout à fait honnêtes dans leur démarche. Mais les rédactions de ces médias de propagande vont s’appliquer à ne sélectionner que des intervenants qui nourriront une vision bien spécifique de l’actualité (ici, en l’occurrence, la guerre en Ukraine). Pour le public, cela donne l’impression que la situation est évidente. Tant pis pour la réalité, souvent beaucoup plus complexe.
Il convient de vérifier les différentes histoires soulignées par l’auteure. Certaines peuvent avoir été corrigées. D’autres peuvent être le fruit d’incompréhensions. Julia Davis a tendance a mettre dans le même sac de « La Russie » aussi bien médias, autorités, qu’Internautes relayant des mensonges. Or pour bien comprendre la nature d’une propagande, il est fondamental de pouvoir en identifier la source. Reste que sur l’ensemble (nous ne les avons pas toutes consultées), un certain nombre d’informations semblent tout à fait correctes et collent parfaitement avec les méthodes d’une désinformation volontaire… Et que l’accumulation d’erreurs sur un même sujet et une période si courte est tout de même improbable. Elles peuvent en tout cas donner autant de pistes de réflexions pour comprendre propagande et mauvaise information dans les médias, russes ou pas.
Quelques exemples:
#125: RT (formerly Russia Today) and other Russian mainstream media reported that two journalists have been killed near Donetsk airport in eastern Ukraine, as a shell hit the car they were travelling in. « A car carrying two local journalists was destroyed by an anti-tank missile. It is not possible to recover the bodies at the moment due to heavy fire coming from the Ukrainian side. Currently we’re trying to determine what news outlet the slain journalists were working for, » representative of the unrecognized “Donetsk People’s Republic” (DPR) told the Sputnik news agency. DPR “officials” later told Lenta.Ru that only one journalist was killed. They subsequently claimed to RIA Novosti that “one journalist was contused, the other was seriously wounded.” Later, DPR representatives refused to identify the alleged victims and instead, decided to show the journalists the body of a dead Ukrainian soldier. At that point, it became abundantly clear that the story about “two killed journalists” was nothing more than another propaganda fabrication.
Commentaire: Ce type d’informations est particulièrement sensible pour les médias occidentaux. Un journaliste, même s’il collabore pour un média considéré comme propagandiste, ne doit jamais être pris pour cible. Ce serait jouer le jeu de certains ennemis de la presse, notamment les jihadistes, que de tolérer ce type de pratiques. Cette information est peut-être partie d’une vraie rumeur. Il n’empêche que les médias russes se sont précipités dessus car elle servait leur logique. On s’étonnera que l’on n’ait pas pu retrouver ici les victimes, ce qui a été le cas dans d’autres situations… alors que des journalistes ont été publiquement commémorés dans des situations beaucoup plus secrètes (ici, par exemple, avec l’Iran en Syrie).
#23: Ukrainian military was falsely accused of using phosphorus against the civilian population. The video shown by TV Station « Zvezda » and multiple other sources as the alleged evidence of the said atrocities was actually a 2004 CNN video from Fallujah, Iraq. An intercepted telephone conversation revealed that Donetsk separatists were asking their collaborators in Russia to provide them with remnants of a phosphorus bomb, which would in turn enable them to better sell this fabrication to the media.
Commentaire: La photo pourrait être un abus d’image d’archives. Faute d’images des tirs évoqués par Zvezda, pourquoi ne pas prendre des images d’explosion de nuit? Et tant pis si c’est en provenance d’Irak. Des médias français se font régulièrement taper sur les doigts pour illustrer -sans toujours bien le préciser- des informations avec des images venant d’ailleurs. Il n’empêche qu’un média sérieux ferait attention avant de se lancer dans ce type d’allégations, les obus au phosphore ne courant pas non plus les rues. On accordera à nos amis russes que nous n’avons nous mêmes pas toujours été plus prudents sur certaines déclarations officielles des autorités françaises…
#28: Russian media, referring to obscure blogs of conspiracy theorists, claimed that the U.S. refused to accept bodies of 13 CIA spies, allegedly killed when terrorists in Ukraine downed two military helicopters. In reality, two members of the Ukrainian military suffered deaths in these incidents; no foreign agents were present on board the helicopters nor suffered death during these events.
Commentaire: L’erreur est-elle volontaire? Les médias russes sont largement animés par des journalistes ayant des convictions idéologiques très fortes -et très favorables au pouvoir actuel-. On peut se demander si les fausses informations diffusées le sont par volonté de participer à un effort de manipulation, ou par conviction d’être face à une évidence. Des médias occidentaux citent ainsi régulièrement des sources totalement bidons, voir des sites conspirationistes… lorsqu’il ne s’agit pas de The Onion ou du Gorafi (en 2013, plusieurs médias italiens reprennent ainsi comptant un sondage imaginaire affirmant que 90% des Français pensent que le clitoris est un modèle Toyota…)!
#61: On July 7, 2014, Russian mainstream media exploded with a stream of articles about Alexander Skryabin, an alleged hero of nonexistent Novorussia. Pseudo-“heroic” tales of armed separatism were published by Komsomolskaya Pravda, Vesti, the portal for the Communist Party of the Russian Federation, NTV, Gazeta and many others. No one seemed to be perturbed by the fact that Alexander Skryabin died of lung cancer on September 27, 2011. Even after the truth was exposed, only Russia Today removed the article andpublished a retraction. The rest of the publications merely removed Skryabin’s photo from their articles, but failed to delete the made-up story of postmortem terrorism.
Commentaire: Hum… Plus c’est gros plus ça marche?!