La semaine dernière, Valeurs Actuelles s’appliquait à nous décrire « la propagande des médias » à travers un « voyage au cœur de la pensée unique ». Puisque les auteurs du dossier ne le font pas et puisque les membres de la rédaction que j’ai contacté ne m’ont pas répondu, il me semble judicieux de rappeler ce qu’est la propagande. D’après le Larousse, il s’agit de « l’action systématique exercée sur l’opinion pour lui faire accepter certaines idées ou doctrines, notamment dans le domaine politique ou social ». Il convient de noter que dans les milieux universitaires, on peine à tomber d’accord sur une définition précise du concept. Où est la limite entre propagande et conviction ? Entre propagande et communication ? Entre propagande et publicité ?
Dans le cas des médias, la question est d’autant plus complexe que le journalisme français est par tradition un journalisme de combat où les idées sont importantes ; à l’inverse de la tradition anglo-saxonne qui insiste sur l’importance des faits (E. NEVEU 2013). Le journaliste engagé, qui défends les idées de son canard, est-il donc un propagandiste ? La communauté scientifique aurait tendance à répondre que non. Mais Valeurs Actuelles nous dit que oui. Ce qui peut étonner le lecteur… C’est que Valeurs Actuelles est un journal de combat politique, très engagé.
Alors qu’est-ce que la propagande médiatique selon Valeurs Actuelles ? Il s’agit du discours récurrent -et évidemment faux- commis par une liste de médias (Libération, Le Monde, Mediapart, L’Humanité, Politis, France Inter). Nous pourrions être tentés de trouver étonnant que cette « cabale » (ensemble des personnes qui soutiennent les manœuvres visant à provoquer le succès de quelqu’un) soit de gauche. Ces médias imposeraient une « pensée unique » en refusant de donner la parole à des intellectuels ou des idées, dont Eric Zemmour, Elisabeth Levy ou encore Gilles-William Goldnadel. Zemmour, victime d’une censure massive des médias ? Il fallait oser.
Défendre des idées de gauche serait donc de la propagande et défendre des idées de droite de l’information ? Je doute qu’une telle approche aiderait les universitaires à trancher dans le débat de conceptualisation de la propagande.
Les arguments
Venons-en aux arguments avancés dans le dossier :
- Les médias cités monopoliseraient la pensée des Français.
En regardant les audiences, on voit pourtant que Le Figaro est en permanence au coude à coude avec Le Monde, suivis par la majorité des quotidiens dont on peut difficilement leur faire un procès en gauchisme, et enfin loin derrière, par Libération et l’Humanité, tous deux en souffrance.
Côté hebdomadaires, en termes d’actualité politique, Paris Match est en tête (#15ème position), suivi par le Figaro Magazine (#20), L’Obs (#24), Le Point (#26), Le Parisien Mag (#30), L’Express (#35), Le Monde Magazine (#43), Le Monde Diplo (#83) et Valeurs Actuelles (#89). Ce classement illustre-t-il une domination massive de la pensée unique de gauche ou une certaine pluralité des idées dans la presse ? Les clivages de la population française semblent au contraire plutôt bien se retrouver dans les orientations des magazines qu’ils achètent.
- Les médias français n’ont pas prévu l’arrivée de Trump et Fillon.
On pourrait se demander si le rôle des journalistes est de faire des prédictions ou d’expliquer des situations. Les médias qui avaient visé juste l’ont-ils fait par espoir ou par savoir ? Rappelons peut-être que Valeurs Actuelles, comme d’autres, a fait une Une sur « l’offensive Juppé » en offrant une interview au candidat à la Primaire.
- Les penseurs de droite ne sont pas assez invités.
Eric Zemmour était pourtant encore récemment pressenti pour un retour sur iTELE, dispose d’une émission sur Paris Première (groupe M6) et est encore très régulièrement invité sur de nombreux plateaux, de tous les horizons. Elisabeth Levy est surtout présente dans les médias de droite mais a largement fait le tour de nombreux plateaux TV. Est-elle moins invitée aujourd’hui ? N’est-ce pas du fait de la violence verbale dont elle fait preuve dans les débats, habituée qu’elle est du hululement indigné ? Quant à Gilles-William Goldnadel, il est régulièrement invité ici et là, mais est aussi peut-être occupé par son métier d’avocat… A l’inverse, Valeurs Actuelles ouvre-t-il régulièrement ses colonnes à des Laurent Joffrin ou des Edwy Plenel ? J’avoue ne pas m’en souvenir, mais probablement que…
- Chez Marianne, 6% des journalistes seulement votaient à droite en 2002.
Outre le fait de prendre un chiffre vieux de 14 ans (bonjour le sérieux de la preuve), on pourrait aussi poser la même question chez Valeurs Actuelles ? Combien de journalistes dans votre rédaction envisagent-ils de voter à gauche ?
- Des journalistes anonymes assurent qu’ils ne pourraient pas répondre nominativement dans Valeurs Actuelles, de peur des réactions de leurs collègues.
Parfaitement regrettable. Et hélas assez récurrent. J’ai travaillé pendant un an chez Atlantico et je me souviens de jeunes collègues de sensibilité de gauche qui avaient le même type de malaise. Aucun doute qu’un journaliste de gauche trouverait toute la place pour exprimer ses idées dans Valeurs Actuelles ? Je crois cependant, à titre personnel, qu’il est aussi de notre responsabilité professionnelle de savoir défendre nos idées et nos convictions, dans le respect du débat. Pour ma part, je n’ai jamais hésité à l’ouvrir dans les différentes rédactions que j’ai fréquentées (qui vont d’une droite conservatrice à une gauche quasi-révolutionnaire) et on ne m’en a jamais tenu rigueur.
- Dans un article sur Fillon, on se réjouit qu’il ait résisté « aux tirs hystériques, voire contre-productifs des médias de gauche ».
Heureusement que Valeurs Actuelles, à l’inverse, nous propose une couverture riche en recul :
- Les écoles de journalisme sont décrites comme une « fabrique de clones ».
Il existe de vrais débats sur l’enseignement. L’auteur de l’article ne semble visiblement pas être au courant puisqu’il parle globalement de recopiage de l’AFP. Les tendances actuelles sont plutôt à l’exploitation des nouveaux outils web, au data journalisme, au web-documentaire, parfois de manière totalement déconnectée de la demande dans les rédactions. Même si effectivement, dans certains médias on continue à faire du « batonnage ». Lors de ma propre scolarité, je ne me souviens pas avoir une seule fois entendu ce genre de consignes de la part des enseignants, qui réclamaient plutôt, au contraire, plus d’informations et de sources et moins de recopie.
- Autre reproche aux écoles : les étudiants sont largement à gauche.
C’est probablement un soucis. Un journaliste anonyme témoigne de la pression qui pesait sur ses épaules du fait de ses opinions. Je ne peux pas m’empêcher de trouver cela étonnant. Lorsque moi même j’étais sur les bancs de la fac, certains de mes camarades m’avaient catalogué comme étant de droite parce qu’ intéressé par les questions de défense et sous-officier de réserve dans l’armée de terre. Au delà de l’aberration du raisonnement, je n’ai jamais senti la moindre pression… N’y aurait-il pas là encore un poil d’exagération ?
L’importance du débat
Ce qui m’amène au cœur de mon propos : ce dossier sur la propagande des médias est bourré d’exagérations, de caricatures, de commentaires négatifs sur ceux qui pensent autrement. Autant de pratiques qui étaient notoirement identifiées par Lord Ponsonby comme les petites recettes de la propagande de guerre.
Mais comparer notre situation politique et sociale actuelle à la Première Guerre mondiale est une malhonnêteté intellectuelle que je laisserai volontiers à d’autres. Le débat sur la propagande et sur le fonctionnement des médias n’en est pas moins crucial car les Français n’ont jamais eu aussi peu confiance en la presse. Aussi parce qu’ils sont l’objet de nombreuses attaques d’acteurs divers qui cherchent à les manipuler pour servir toutes sortes de causes et d’idéologies. C’est notre responsabilité à nous, journalistes, de fournir les clefs pour décrypter ces enjeux et permettre aux citoyens de s’armer intellectuellement.
En fournissant des outils et des faits, pas en vociférant des opinions dans un entre soi convaincu.
Et l’importance des mots
Enfin, le dossier se clos en offrant quelques lignes à Ingrid Riocreux. Cette agrégée vient de publier un ouvrage dans lequel elle décrypte « la langue des médias ». Elle y rappelle l’importance du sens des mots et de la syntaxe. Un effort louable qui soulève des questions véritablement passionnantes. A titre personnel et du fait des sujets sur lesquels je travaille, je me suis interrogé ainsi sur l’utilisation du terme « régime » pour parler du pouvoir de Bachar al-Assad.
L’on pourrait cependant s’étonner que Madame Riocreux n’ait été invitée presque que par des médias de droite, de TV Liberté à Valeurs Actuelles. Les mêmes pourraient s’étonner des exemples choisis dans son ouvrage par cette auteure. Si elle s’inquiète des termes utilisés pour qualifier le pouvoir de Vladimir Poutine, elle ne s’insurge pas plus que ça contre la qualification systématique de « terroristes » pour les combattants djihadistes. Si elle reproche de manière récurrente à un certain nombre de médias de tenir un discours hostile à la Manif pour Tous, aucune inquiétude sur les approximations systématiques entre libéralisme, conservatisme, socialisme, communisme et j’en passe. C’est d’ailleurs en grande partie ce qui discrédite son travail : les reproches visent systématiquement des médias relativement à gauche, sans jamais s’intéresser à ce qui peut s’écrire dans les colonnes de canards plus à droite. Elle va même jusqu’à trouver le moyen de saluer la qualité de Valeurs Actuelles qui éviterait ce genre de travers. On croit rêver.
Ingrid Riocreux n’a d’ailleurs rien inventé. De nombreux sociologues et historiens de la presse ont déjà évoqué ce sujet. Pour une enseignante qui guide de futurs journalistes, elle aurait par exemple pu relever dans « Sociologie du journalisme » d’Erik Neveu, riche de plusieurs éditions et classique pour les étudiants, cette lecture moins méprisante : « Sauf à revendiquer une mission de police du langage, aucun argument scientifique ne permet de condamner ce vocabulaire, qui peut aussi être drôle et inventif. » Mais à quoi bon s’épancher sur la drôlerie et l’inventivité, quand on peut stigmatiser la malfaisance de sa cible ? Introduire de la nuance nuirait probablement au propos lapidaire en instillant le doute et la mesure chez le lecteur. Et si cette terrible engeance avait quelques qualités ? Et si les conditions de travail parfois éprouvantes (dont on peut évidemment débattre) y jouaient un rôle au moins aussi important que la médiocrité intellectuelle dont on veut affubler « les Journalistes » ? Rappelons que rien n’empêche qui que ce soit de zapper et de renoncer à des médias qui ne lui plaisent pas, pourquoi pas au profit du Courrier International, d’Arte ou de RFI ? Mais les accents de nos amis africains sont peut-être autant d’agressions à « la » langue française que l’on pourrait difficilement tolérer.
Je trouve « le mot » d’Ingrid Riocreux choisis pour illustrer le dossier de Valeurs Actuelles assez intéressant. « Dogme : Jamais remis en question et assorti d’une morale, il rassemble les idées préconçues, courantes chez ceux qui font l’économie de toute analyse. Quitte à tordre le réel pour mieux valider le dogme. »
Je ne peux m’empêcher de mettre cette phrase en abîme avec les unes de Valeurs Actuelles.
A ne discuter qu’avec des gens qui pensent comme nous, tout en vomissant les idées des autres comme la plus immonde des aberrations… N’est-ce pas là, justement, que l’on tombe dans le jeu de la propagande ?