L’Etat islamique déploie depuis un bon mois une radio d’influence dans la province de Nangarhar, dans l’est afghan. On peut l’écouter dans à peu près toute la région et en particulier dans la ville de Jalalabad. Baptisée la Voix du Califat, elle émets clandestinement à partir de 18 heures, le soir. 30 à 90 minutes de programmes sont diffusés en pachto et en arabe, comprenant des discours et interviews politiques, des diatribes religieuses, des anashids (chants) et des menaces à l’égard de ceux qui coopéreraient avec l’ennemi. Ce dernier, au delà des forces officielles afghanes, est surtout taliban.
Lorsque l’information a circulé dans la presse américaine, en décembre, personne ne savait désigner la source des émissions. On pense alors à un camion qui circulerait le long de la frontière, côté pakistanais, dans les zones tribales qui restent totalement inaccessibles aux forces de sécurité des deux pays. Les forces afghanes ont tenté de brouiller cette radio, avec un succès mitigé, sans parvenir jusqu’ici à totalement la neutraliser.
Depuis peu, l’émission radio a été doublée par une émission numérique, grâce à l’application Spreaker. Le petit logiciel, facile d’accès, permets d’enregistrer et de diffuser des podcasts. Les connections à Internet, y compris mobile, restant limitées dans la région, la FM reste le principal moyen de faire passer un message à la population ciblée. C’est d’ailleurs le principal outil qui avait été utilisé par les forces de l’Otan dans ses propres opérations d’influence, depuis 2001. A l’époque, les militaires distribuaient même des radios aux populations pour qu’elles puissent écouter les émissions émises à leur profit.
La situation stratégique est mal engagée pour les autorités, dans l’est de l’Afghanistan. Si le niveau des militaires est estimé correct par les autorités, c’est l’encadrement qui pèche. Dans les faits, l’armée afghane et la police restent très largement enfermés dans leurs abris. La population est livrée à elle même, entre les talibans et l’Etat islamique, qui ne cessent de s’affronter. Les forces américaines craignent l’émergence d’un nouveau bastion de l’Etat islamique dans la province du Nangahar. Les Etats-Unis estiment entre 1000 et 3000 le nombre de combattants de l’Etat islamique dans ce secteur.
Pour les médias anglo-saxons, hypothèse qui me semble tout à fait crédible, la principale cible de ce média est la population. Il s’agit de la désolidariser totalement des autorités officielles, d’une part, et d’éventuels soutiens talibans, d’autre part. Les messages de menace font clairement comprendre que toute personne accusée de coopérer avec l’ennemi, serait en grand danger. Il s’agit également de convaincre les éventuels candidats au combat de rejoindre l’Etat islamique, qui mobilise pour l’instant des talibans désenchantés, des combattants venus des zones tribales pakistanaises, des Tchétchènes et des Ouzbeks. La crainte est forte de voir les jeunes, désoeuvrés et sans emploi, opter pour les armes.
La lettre confidentielle TTU estime de son côté dans son numéro du 13 janvier que la cible pourrait être l’ennemi, en l’occurrence les talibans et les services de renseignement pakistanais. La radio de l’Etat islamique accuse en effet l’émir taliban et ses hommes d’être des agents de puissances étrangères, du fait de relations avec les « mercenaires apostats iraniens et russes à la solde du Pakistan« .
Les programmes dénoncent aussi bien les habitudes considérées comme impur (un rasage de trop près, assimilé à un physique féminin) que les relations avec l’ennemi (interdiction d’accepter l’aide d’une agence de l’Etat, y compris sur le plan humanitaire). Les membres de l’Etat islamique répètent également en boucle qu’ils sont eux-mêmes la cible de la propagande adverse, qu’ils accusent de mentir à leur égard.