Que sont les opérations psychologiques? Un officier français me faisait récemment remarquer que la meilleure manière de répondre à cette question et d’expliquer à un néophyte ce que sont les fameuses psyops… c’est un album d’Astérix et Obélix. Dans la Zizanie, quinzième opus des aventures des deux Gaulois sorti en 1970, les Romains lancent une campagne d’opérations d’influence contre l’irréductible village.
L’album commence par poser la question du pourquoi. A quoi peuvent bien servir ces psyops? C’est Jules César qui répond à la question: alors que la force ne fonctionne pas (les Gaulois sont plus forts grâce à la potion) et que la corruption est inenvisageable (l’adversaire n’y est pas sensible), il faut trouver un autre vecteur d’action. La force des Gaulois vient de ce qu’ils sont unis. Pourquoi pas, dès lors, jouer sur leurs psychologie collective en introduisant dans leur environnement des éléments de doute et de discorde.
La fameuse zizanie, le Romain Tullius Detritus va la semer en jouant sur les caractères des Gaulois, notamment sur celui de leur chef. Pour cela, il va commencer par éplucher les données du renseignement militaire des quatre camps romains: que sait-on de l’adversaire? Une fois identifiés les acteurs que l’on peut influencer, plusieurs méthodes peuvent se présenter. On va par exemple choisir d’interagir avec quelqu’un qui n’est pas le chef, pour susciter des jalousies entre les principaux leaders adverses.
On peut aussi faire croire à l’adversaire que l’on a des moyens militaires plus élevés que dans la réalité. La déception permet d’amener l’ennemi à mal préparer ses actions: il ne sait pas à quoi il a à faire. Il peut ainsi soit sous-estimer, soit sur-estimer la menace. Tullius Detritus va faire croire aux Gaulois que le rapport de force est changé par l’obtention de la potion magique. Il organise une distribution d’eau chaude sous les yeux d’espions adverses. Si l’ennemi croit qu’il n’a plus les moyens de lutter, il peut être tenter d’abandonner le combat.
Pour augmenter les dissensions entre les alliés adverses, on peut aussi leur faire croire que l’un d’entre eux a noué des liens avec vous. Les amis risquent ainsi de douter les uns des autres. L’un d’eux se veut rassurant? Comment lui faire confiance, s’il est effectivement de mèche avec vous. Dans tous les cas, ce doute pourra nourrir une fracture dans l’unité ennemie. Ici, Tullius Detritus lance un message de propagande destiné au village qui annonce que les Romains sont désormais amis avec Astérix, puisqu’ils partagent le sanglier.
Des outils qui peuvent se montrer efficaces. Ici, les Gaulois commencent à ne plus avoir confiance les uns en les autres. Astérix est-il de mèche avec les Romains? Ces derniers sont-ils devenus aussi forts? L’album décrit également les limites des opérations psychologiques. Par exemple, chercher à agir sur une cible qui n’est pas susceptible de changer d’avis est inutile. Tout comme il sera difficile de faire manger du sanglier à un jihadiste, il sera difficile de rompre l’amitié forte qui règne entre Astérix et Obélix. Une information qui devait être connue du renseignement et que le psyops romain aurait du prendre en compte.
Tout comme il ne sera pas possible de faire faire tout et n’importe quoi à l’adversaire, l’utilisation d’informations fausses est également risquée. Une opération psychologique efficace repose souvent sur le recours à des informations vérifiables et crédibles. Dans le cas contraire, il faut envisager les conséquences en cas de découverte de la manipulation. Detritus parvient à dissocier les Gaulois parce que ceux-ci sont effectivement susceptibles et qu’ils le voient offrir des cadeaux à Astérix. C’est crédible. Pour la potion magique, là, ça l’est beaucoup moins: les Gaulois peuvent facilement vérifier et donc déjouer le subterfuge.
Une fois que les Gaulois ont pris conscience qu’ils sont pris pour cible par plusieurs opérations psychologiques romaines, ils peuvent préparer une riposte. Astérix a identifié la source des différents messages de propagande: le Romain Tullius Detritus. Il va répondre en jouant lui-même sur les faiblesses de ses adversaires: l’officier romain méprise le civil qui lui donne des ordres depuis le début de l’aventure. Les Gaulois n’ont pas besoin de le détruire par la force, il leur suffit de jouer sur cette méfiance pour rompre la collaboration adverse.
Cet album n’a en réalité rien de surprenant: il est publié à peine quelques années après la guerre d’Algérie. Le recours à l’action psychologique ou à la manipulation sont alors des outils très connus. Les deux auteurs portent d’ailleurs un regard emprunt de négativité sur la question en relayant des clichés qui restent souvent d’actualité aujourd’hui. Le psyops romain est un vil manipulateur dont le nom, Detritus, en dit beaucoup. La méthode est ainsi condamnée de fait en étant pratiquée par des gens aux mauvaises moeurs. Detritus, en début d’album, est d’ailleurs en prison. La réaction des légionnaires à son arrivée est également intéressante: ils ne comprennent pas ce que vient faire ici ce « civil ». On peut se demander, près de 45 ans plus tard, si les mêmes réactions n’attendent pas sociologues et communicants au sein de forces armées, lorsqu’ils arrivent pour proposer de recourir à la psychologie sociale plutôt qu’à la force.