« Le ministère des Armées, plus que jamais « Grande muette. » C’est avec ce titre tranchant que Marianne -l’auteur n’ayant pas signé- analysait une anecdote de l’actualité du ministère des Armées le 18 juillet dernier: l’annulation d’un point presse.
Pour l’hebdomadaire, il faut y voir une volonté d’éluder les tensions entre l’encore chef d’état-major des armées (CEMA), le général de Pierre de Villiers, et le président Emmanuel Macron. Résumant les derniers éléments de la crise, l’article conclut que « plus personne ne moufte » et que « le ministère des Armées, lui, préfère visiblement incarner la « Grande muette » d’ici [la fin des vacances en septembre]. » Comment, dès lors, obtenir des réponses, semble s’interroger le canard?
En habitué de l’actualité de la défense, nous n’avons pas été beaucoup plus étonné que beaucoup de nos camarades de cette annulation d’un point presse. Cela arrive régulièrement, souvent pour des problèmes d’organisation. Ce point presse peine en effet à élargir son public et une majorité de journalistes, même spécialisés sur ces sujets, ne prend plus la peine de s’y rendre. Pourquoi? Parce que l’on sait que ce n’est justement pas là que l’on trouvera grand chose à se mettre sous la dent pour analyser les tensions entre un CEMA et un président.
Faisons notre boulot
Si Marianne n’a pas pris la peine de citer de sources, nous avons décidé de faire notre travail pour savoir si les reproches formulés reposaient sur quelque chose. Un petit mail passé à la Délégation à l’information et à la communication de la défense (Dicod) aboutit à une réponse à peine quatre heures plus tard:
En réalité, la seule chose que l’on peut reprocher à la Dicod, c’est que cette année, elle n’a pas eu l’élégance d’organiser un pot de fin d’année pour les journalistes comme les saisons précédentes (ou alors je n’ai pas été invité!). Mais vues les difficultés budgétaires, on pourra s’en accommoder.
Nous avons tout de même demandé à Marianne sur qui ou quoi l’auteur de l’article s’était reposé pour affirmer avec tant d’aplomb que le ministère des Armées refusait de répondre. Et la direction n’a su évoquer la moindre source. On se pose ici plus de questions qu’on a de réponses comme le montre ce dialogue sur-réaliste:
Marianne: Puisque vous vous y connaissez, une interruption de 47 jours est-elle habituelle, sachant que le gouvernement lui, ne s’absente qu’une dizaine de jours, en août ?
RM: Oui, c’est habituel. A une ou deux semaines près. D’ailleurs, on réponds à la Dicod sans aucun soucis quand on leur téléphone… Il y a une perm tout l’été… Avez-vous tout simplement passé un coup de fil pour leur demander?
Marianne: Et vous?
RM: Oui 🙂
Marianne: Donc vous avez la réponse à la question.
RM: Moi oui. Vos lecteurs, non.
En finir avec la Grande muette
Qui dit crise militaire, dit retour du poncif le plus affligeant des habitudes journalistiques: la Grande muette ne dit rien. Si la défense a été qualifiée ainsi, c’est à l’origine en vertu de l’interdiction de vote imposée aux officiers et aux conscrits entre 1872 et 1945. A l’époque, les militaires sont électoralement muets. Par la suite, l’expression fera plus largement référence à la difficulté de cette institution à prendre la parole.
Peut-on encore faire ce reproche? Il convient de savoir que le devoir de réserve, auquel de nombreux commentateurs continuent de faire référence, n’existe plus depuis la réforme du Statut général du militaire, en 2006. Soit il y a 11 ans. Depuis, les militaires ne sont soumis qu’à une obligation de neutralité politique, religieuse et philosophique (interdiction de s’exprimer sur ces sujets en uniforme) ; au secret des opérations en cours et à venir ; et enfin au respect des différents niveaux de secret défense lorsqu’ils sont habilités.
Le ministère des Armées est aujourd’hui l’un des plus performants en matière de communication. Il reçoit un nombre impressionnant de journalistes en reportages, y compris des non spécialistes. Il répond rapidement aux questions, par mail et par téléphone. Il met à disposition vidéos et photographies gratuitement. Il prend même en compte les Youtubeurs et les blogueurs. Le tout avec une logique d’obligation de réponse justifiée par la nature démocratique de notre pays. Son travail est d’ailleurs salué par de nombreux autres communicants, admiratifs, et de journalistes d’autres secteurs, jaloux d’une telle ouverture.
Disent-ils tout? Evidemment non, comme n’importe quel organe de communication: il s’agit de diffuser des arguments pour convaincre le public de sa cause et soutenir une institution. Pour informer, les journalistes doivent faire leur boulot: trouver des sources, recouper, vérifier. Il faut parfois creuser très en profondeur pour les sujets les plus délicats. Ce qui demande du temps mais est tout à fait faisable: on croise des militaires un peu partout et les réseaux sociaux peuvent gommer la distance en de très nombreux cas. Ils sont beaucoup, de tous les grades, à chercher à s’exprimer… Parfois en prenant directement contact avec des journalistes. Aujourd’hui, la Grande Muette n’a aucune difficulté à se montrer franchement bavarde… Pour peu qu’on fasse le travail.
Pour l’anecdote, les communicants du ministère des Armées ne font justement plus l’erreur de tous partir en vacances au même moment l’été depuis 2008. Au moment de l’embuscade d’Uzbin, qui a coûté la vie à dix soldats en Afghanistan, tous les cadres les plus importants -et les journalistes spécialisés- sont en vacances. Face à la crise, c’est la panique: rumeurs, informations cachées, contradictions, maladresses… Une leçon qui fait l’objet de nombreuses réflexions et a marqué les esprits.
Marianne réalise ici un bel exemple de ce que l’on peut voir de moins réussi sur le sujet. Une absence de sérieux qui, à force de répétition, nuit au travail des confrères: lorsque l’on se rend sur le terrain, on doit souvent faire face à des militaires fâchés d’être traités avec un tel mélange d’irrespect et de mensonge dans de tels articles dont ils ne comprennent pas l’intention. Heureusement, le magazine se rattrape dans sa version papier avec un dossier signé Thomas Hoffnung, un journaliste de qualité, au sujet de l’ensemble de cette crise: là il y a du fonds, de la connaissance du sujet et des sources.